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BlogueHistoire

Contes : L’abeille et le moment présent

By 28 octobre 2014août 19th, 2019No Comments

Par une chaude journée d’été, une belle abeille très vaillante butine passionnément dans le grand champ du voisin.
Elle est reconnue pour être la plus efficace, la plus rapide, pour apporter le meilleur nectar.
Comme chaque jour, elle butine de longues heures, s’affaire de fleurs en fleurs, récoltant le plus possible pour la ruche.
Comme chaque jour, elle veut se rendre un peu plus loin, à la découverte de nouvelles variétés de fleurs, de nouvelles saveurs, de nouvelles rencontres.
Papillons, fourmis, lézards la connaissent tous, la voyant passer, prestement, chaque jour. Toujours plus rapide, plus connaissante.

Elle est en quête, en quête du pollen parfait. De la source parmi les sources.

Et un soir, où elle travaille comme souvent de longues heures, poussant toujours plus loin ses forces, elle voit une fleur. Elle voit La fleur. Plus belle et lumineuse d’entre toutes. De loin, dans la nuit, elle semble briller de mille couleurs. Elle doit aller voir. Elle doit se rapprocher. Elle ressent l’air frais autour d’elle, et, comme gonflée d’oxygène, elle file vers les pétales. Oranges, jaunes, bleues! Elle s’approche de plus en plus.
Et c’est là qu’une douleur violente, poignante la saisie. Brulée par la fleur, elle tombe.

La fleur était une flamme.

Comble de chutes, elle rebondit de feuilles en feuilles, voyant la fleur enflammée s’éloigner d’elle.
La belle abeille tombe finalement sur le sol, dans un grillonnement infini.
.. Congrès de cigales.
La vie a parfois l’art de passer ses messages sans mesure.
Outre la cuisante découverte de la fleur enflammée, sa déchéance chute l’amène au coeur d’une conférence de l’insecte le plus paresseux d’entre tous!
Les fourmis lui en avais déjà parlé ; mais jamais elle n’en avait vu d’aussi près.
L’impatience est à son paroxysme.
Le sol. Elle l’avait presque oublié. Il arrive vite, si vite.

Bang. Dans un bruit sourd, son dos percute le sol. Perte de conscience.

Elle reprend conscience. Combien de temps s’est écoulé ? Une minute, 2 jours. Le temps a perdu son sens.
Elle réalise que le silence s’est fait. Le bourdonnement tourbillonnant de la vie s’est arrêté.
Comme un éclair la traversant, tous ces réflexes nerveux s’unissent, ses muscles se contractent. Tendons, ligament tout s’unit en elle pour reprendre l’envol. Repartir, comme d’habitude. Continuer, y retourner.
La seule réponse de son corps, si servile de coutume, n’est qu’une vive douleur.
Elle se sent comme une pierre. Clouée au sol. Son aile droite est brûlée, trop blessée. L’aile gauche bat, autant qu’elle peut. Efforts inutiles.
Sa grand-mère, la chef des grandes ouvrières de la ruche, lui avait déjà dit : ‘ma petite, on ne vole pas à une aile’.
Épuisée, elle s’endort, entourée des insectes musiciens, dans un silence profond.

Le temps passe. Jours, semaines. Ne pouvant partir, elle s’est installée chez les grillons, qui l’ont accueilli avec une désinvolture quasi hippie. Ce qui semblait être paresse vu de l’extérieur est un mode de vie, simple et libre.

Dans son quotidien, tout ce qui paraissait si simple est devenu un défi.
Quelle frustration de découvrir les limites, plus que ca de les ressentir dans sa chair. Aucun entrainement, aucun outil ne peut l’aider dans cette épreuve, dans cette étape.
Et puis, il y a la culpabilité aussi, le bon mot serait ‘une inertie coupable’. Ses pensées, elles, volent continuellement vers la ruche. S’affranchissant des limites géographiques, ignorant les contraintes physiques, elle n’aspire qu’à une chose : retourner à sa ruche .. pour mieux en sortir.
Ce nid où la vie continue sans elle. Pendant qu’elle continue sa vie, ailleurs.

Le temps passe.
Progressivement, la compagnie des cigales, la musique de leur quotidien, leur esprit festif donne une nouvelle dimension aux journées.
Laisser le temps au temps. Laisser la dynamique du moment prendre une autre perspective.

Et puis, dans le fond, cette désinvolture a ses bons cotés. Apprendre à utiliser ce temps. L’abeille décide d’accompagner ses hôtes à la flute.
Elle se découvre un talent insoupçonné! Elle y découvre aussi un plaisir incroyable. Participer au groupe, être dans le mouvement collectif. S’adonner à une forme de création, artistique celle là.
La guérison suit son cours, son aile repousse, doucement.
Loi de cause à effet, avec chaque jours de nouvelles découvertes, précieuses, se font.

Avec sa musique, elle fait la joie de ses nouveaux amis.
Et un jour, lors du congrès annuel, elle donne sa plus belle performance.
L’auditoire est au comble de l’allégresse. Et alors qu’elle termine sa prestation : silence. Un silence émerveillé se fait.
Des murmures. Des sourires. Et soudain un bruit sourd monte, de plus en plus fort, il se transforme en liesse collective : elle vole !
Pour la 1er fois de sa vie, elle prend son conscience de la magie de ce geste simple. Tout en elle vibre, vit, palpite. Elle tente quelques arabesques puis part dans une danse aérienne endiablée, à laquelle rapidement une mélodie improvisée, musique du cœur que sa flûte transcrit à merveille.

Elle réalise qu’elle peut retourner chez elle.
Mais en a-t-elle simplement envie ?
Chez elle, c’est où, c’est quand. C’est comment ?
Avec gratitude, elle prend le temps de remercier l’audience. Cette foule d’amis, hier inconnue, qui l’a soutenu, lui a permis de guérir et se métamorphiser.

Elle reprend la route vers sa ruche, cet hier qui sera son demain.
Elle ne revient pas comme elle est partie.
Étrangement, les limites, les distances, tout est différent. Elle revient différente.

En chemin, elle apprécie juste le fait de voler. De sentir les mouvements de ses ailes, de leurs forces. La fraîcheur de l’air, la beauté du paysage. Éblouie par chaque détail, elle se facsine pour les nuances de vert de chaque feuille. Chaque fleur lui semble unique, exceptionnelle.
Les doux rayons du soleil réchauffent son envol et son coeur.
Elle se sent légère, si légère, et en même temps si pleine d’une reconnaissance infinie pour la vie, sa beauté, ses facettes, ses secrets cachés.
Elle se sent bien.

Au loin, elle voit sa ruche, toujours plus proche.
Sa flûte sous l’aile droite, elle revient chez elle transcendée, plus forte et plus sage, remplie d’espoir.
Arrivant aux portes de la ruche, elle est émerveillée de la beauté qui se trouve autour d’elle. Redécouvrant un paysage pourtant si connu, elle réalise que là, tout près de la ruche se trouve mille et une fleurs sublimes, que chacune a son parfum unique.
Ce qu’elle cherchait si loin était en fait si près …

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